L’histoire de Boeing, géant de l’aviation américaine, est marquée par des succès retentissants mais aussi par des tragédies qui ont ébranlé sa réputation. Étant passionnée d’aviation depuis mon enfance à Bordeaux, j’ai suivi de près l’évolution de cette entreprise emblématique. Aujourd’hui, je vous propose de plonger dans les méandres de cette saga aéronautique qui a connu des turbulences sans précédent.
Les origines glorieuses de Boeing
Boeing, fondée en 1916, s’est rapidement imposée comme un acteur majeur de l’industrie aéronautique. L’entreprise a commencé par fournir des avions à l’armée américaine pendant la Première Guerre mondiale, avant de se lancer dans l’aviation civile. En 1933, Boeing marque un tournant avec le lancement du modèle 80, son premier avion de transport de passagers.
Le véritable décollage de Boeing s’opère en 1958 avec l’introduction du Boeing 707, le premier avion de ligne à réaction américain. Cette innovation propulse l’entreprise en tête de la course technologique. Dans les années 70, Boeing domine le marché avec des avions capables de transporter plus de passagers sur de plus longues distances que ses concurrents.
Le Boeing 747, surnommé « Jumbo Jet », incarne parfaitement cette ère de suprématie. Lancé en 1970, il révolutionne le transport aérien en permettant de transporter 460 passagers sur 15 000 km. C’est un pari technologique et financier risqué qui paie : pendant 37 ans, le 747 reste le plus grand avion de ligne au monde.
Le virage stratégique et ses conséquences
En 1996, Boeing fait partie de ces entreprises à succès et domine son marché avec 54% de parts, loin devant Airbus (18%) et McDonnell Douglas (19%). Pour consolider sa position, Boeing rachète McDonnell Douglas pour 13 milliards de dollars. Cette décision, qui semblait stratégique, s’avère être le début d’une série de changements profonds dans la culture de l’entreprise.
Le nouveau PDG, issu de McDonnell Douglas, impose une vision centrée sur les chiffres plutôt que sur l’innovation technique. Cette approche se traduit par plusieurs décisions controversées :
- L’outsourcing massif de la production
- La réduction des effectifs (50 000 employés licenciés entre 1999 et 2003)
- Le rachat d’actions pour 61 milliards de dollars entre 2008 et 2018
- Le déplacement du siège social de Seattle à Chicago, éloignant la direction des ingénieurs
Ces choix, dictés par la recherche de profit à court terme, ont fragilisé la structure même de l’entreprise. Je me souviens avoir discuté de ces changements avec un ancien collègue de la banque, spécialisé dans le secteur aéronautique. Il était déjà inquiet des conséquences potentielles de cette nouvelle stratégie.
Des incidents en série pour Boeing
La crise du Boeing 737 MAX
La concurrence d’Airbus pousse Boeing à réagir rapidement, notamment à cause de la sortie de l’A320 neo. Au lieu de développer un nouvel avion, en partant de zéro, l’entreprise choisit de modifier son Boeing 737 existant pour créer le 737 MAX. Cette décision, motivée par des considérations financières, s’avère désastreuse.
Pour obtenir une certification rapide, Boeing présente le 737 MAX comme une simple évolution du 737, ne nécessitant pas de formation supplémentaire pour les pilotes. Mais, les nouveaux moteurs, plus gros, modifient l’aérodynamisme de l’avion, et ce détail, très important pour la sécurité de l’avion, a été caché aux clients et à la FAA (Federal Aviation Administration). Pour compenser, Boeing introduit un système automatique de correction d’assiette, le MCAS.
Vu que l’aérodynamisme a été modifié, le nez de l’avion remonte naturellement. Pour contrer ce phénomène, le système MCAS est chargé de changer le cabrage de l’avion quand le nez de l’avion remonte trop.
Ce système, mal conçu et mal documenté, est à l’origine de deux crashes tragiques en 2018 et 2019, causant la mort de 346 personnes. Lors de l’incident du Lion Air, la boite noire a révélé que le système s’est déclenché 26 fois jusqu’au crash.
Ces crashs et accidents révèlent au grand jour les failles dans le processus de conception et de certification du 737 MAX. Suite à ces incidents tragiques, tous les 737 max dans le monde ont été immobilisés pendant 21 mois durant lesquels, Boeing a travaillé sur une solution à ces problèmes.
Il n’y a pas eu de crashs depuis, mais on dénombre de nombreux incidents.
Date | Vol | Type d’appareil | Incident | Conséquences |
---|---|---|---|---|
29/10/2018 | Lion Air 610 | 737 MAX 8 | Crash | 189 morts |
10/03/2019 | Ethiopian Airlines 302 | 737 MAX 8 | Crash | 157 morts |
04/12/2023 | Ryanair 1269 | 737 MAX 200 | Chute de plus de 610 m en 17 secondes | Sous investigation |
05/01/2024 | Alaska Airlines 1282 | 737 MAX 9 | Décompression explosive due à une porte mal installée | Blessures mineures, avion immobilisé pendant près d’un mois |
25/05/2024 | Southwest Airlines 746 | 737 MAX | Mouvement de lacet incontrôlé (roulis hollandais) | Atterrissage en sécurité, dommages au contrôleur de puissance de secours |
23/06/2024 | Korean Air 189 | 737 MAX 8 | Défaut du système de pressurisation de la cabine | 15 passagers blessés (hyperventilation et douleurs aux tympans), enquête en cours |
01/10/2024 | Ryanair | 737 MAX | 4 pneus éclatés à l’atterrissage | Pas de blessé, tarmac endommagé |
Est-ce que les autres modèles d’avion de Boeing sont épargnés ?
Malheureusement non. Les incidents s’enchainent et Boeing est confronté régulièrement à des scandales, d’autant plus qu’avec les réseaux sociaux, les bad buzz circulent de plus en plus vite, mettant en péril la réputation de ce géant de l’aéronautique.
En octobre 2024, des passagers ont réussi à filmer, à travers un hublot, le capot d’un moteur d’un 737-800 (non max) de la compagnie Southwest Airlines, qui se détache. L’avion est même monté jusqu’à 3000m d’altitude avant de faire demi-tour.
Encore plus récemment, au moment où j’écris cet article en octobre 2024, 6000 pièces non conformes aurait été utilisé sur les 787 Dreamliners. Encore un scandale supplémentaire.
Ces différentes crises rappellent l’importance cruciale de la sécurité dans l’aviation. La conception d’un avion ne peut se faire dans la précipitation et le profit à court terme.
Les répercussions et l’avenir incertain
Les conséquences de cette crise sont dévastatrices pour Boeing. L’entreprise fait face à :
- Une perte de confiance des compagnies aériennes et du public
- Des milliards de dollars de pertes financières
- Une chute de 50% de la valeur de l’action sur les 5 dernières années
- De nombreux procès et enquêtes
- Une remise en question de sa culture d’entreprise
Boeing doit aujourd’hui relever un défi colossal : reconstruire sa réputation tout en assurant la sécurité de ses appareils. L’entreprise a pris des mesures pour améliorer ses processus de conception et de certification, mais le chemin vers la rédemption sera long et difficile.
En tant qu’observateur du secteur aéronautique, je reste perplexe quant à l’avenir de Boeing. L’entreprise a certes les ressources pour se redresser, mais elle devra opérer un changement culturel profond pour retrouver l’excellence qui a fait sa réputation pendant près d’un siècle.
Cette histoire tragique de Boeing nous rappelle que la quête effrénée du profit peut avoir des conséquences désastreuses, surtout dans un secteur où la sécurité est primordiale. Elle souligne également l’importance d’une gestion équilibrée, centrée sur l’innovation et la qualité, plutôt que sur les seuls résultats financiers à court terme. On a eu d’un côté, un dirigeant, ancien ingénieur, désireux de créer l’avion le plus sûrs et le plus performant au monde. De l’autre, un dirigeant qui ne voit que les chiffres, on constate aujourd’hui l’impact et le résultat du leadership chez Boeing.
L’avenir nous dira si Boeing saura tirer les leçons de cette crise pour redevenir le fleuron de l’industrie aéronautique qu’elle a été pendant si longtemps. En attendant, cette histoire restera gravée comme l’un des plus grands scandales industriels de notre époque, nous rappelant que dans l’aviation, comme dans bien d’autres domaines, la sécurité et l’intégrité doivent toujours primer sur les considérations financières.